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Vivere in uno stato de'brezza
1 novembre 2005

Le Cri

Rédaction scolaire. Le but de l'exercice était d'écrire un texte narratif en rapport avec le tableau d'Edouard Munch, "Le Cri" et d'y insérer un ou plusieurs champs lexicaux.

Tout était calme. Le soleil couchant dessinait des ombres chinoises sur la mer. Au loin, se découpaient les collines du pays où le paquebot accosterait le lendemain. Un couple marchait, côte à côte, silencieux, sans se toucher. Ils étaient tout juste mariés et richement vêtus.
L'homme portait un haut-de-forme à ruban de velours et un costume à queue-de-pie. Une rose dépassait fièrement de la poche de sa chemise. Quant à la femme, elle était coiffée de l'un de ces "chapeaux-cloche" inspirés des casques de la guerre 14-18, décoré de plumes multicolores. Sous son manteau noir, elle avait une broche à son chemisier et sa longue jupe noire laissait entrevoir des escaprins vernis qui claquaient sur le bois du pont. Un foulard en soie était posé de manière négligée sur ses épaules.
Ils n'échangeaient pas un mot, pas la moindre parole. Ils fixaient l'horizon, droit devant eux, profitant des derniers instants du coucher de soleil.
Soudain, un cri abominable déchira le ciel. La femme s'agrippa au poignet de l'homme qui sursauta comme si elle le touchait pour la première fois. Mais d'où venait donc ce bruit infâme ? D'une bête que l'on égorge en cuisine ? D'un homme que l'on jette à la mer ?
Puis un bruit de pas se fit entendre, toujours plus proche et pressé. Dans le champ de vision des jeunes amoureux, apparut une silhouette androgyne, enroulée dans un pauvre tissu noir. Les derniers rayons solaires éclairèrent son visage: on n'aurait pu dire s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme. Maigre, décharnée, chauve, le teint pâle, presque verdâtre: tel était le portait qu'on en aurait pu dresser.
Elle courait, pieds nus, en haillons, et elle hurlait à s'en rompre les cordes vocales, les yeux écarquillés.
"Est ce un spectre ? Un monstre venu des fonds marins ? Ou l'état le plus dégénéré dans lequel peut tomber l'être humain ?" bredouilla l'homme.
Terrorisée, sa compagne ne répondit rien, s'accrochant à son bras comme à une bouée de sauvetage.
Le personnage arpentait le pont sans cesser de gémir, tel un loup qui hurlerait à la mort.
"Ce doit être un malade atteint de démence" murmura encore le marié.
Les membres de l'équipage semblaient ne rien entendre. Le couple était seul face à cet être monstrueux.
"Continuons à nous promener, ignorons cette chose, elle s'en ira peut-être" suggéra la femme en tremblant.
Ils se remirent donc à marcher, les mains sur les oreilles. Mais même ainsi, les cris aigus leur perçaient les tympans. Chaque pas leur était un supplice, ils n'attendaient plus que le moment de s'enfermer dans leur cabine, à double tour, loin de ce cauchemard. Ils avançaient péniblement, torturés par les plaintes hideuses. Le monstre hurleur semblait ne jamais reprendre son souffle et la distance qui séparaient les jeunes gens d'un abri était aussi pénible qu'un chemin de croix.
La créature fixait la terre, la montrait de son long doigt osseux et continuait à émettre ce son ignoble en se collant au bastingage. Il était clair qu'elle cherchait à quitter le bateau. Elle aurait plongé si elle avait pu, mais l'eau était bien trop froide et elle était si faible que les requins n'en auraient fait qu'une bouchée. Peut-être était-ce un prisonnier (ou une prisonnière) échappé d'une cale, rendu fou par les années d'enfermement ?
Tout à coup, la scène entière se figea. Le couple s'arrêta, tous deux immobiles comme des statues de cire. La créature resta bouche grande ouverte, mais plus aucun son n'en sortit. Silence complet. Edouard Munch reposa son pinceau sur la palette et contempla son oeuvre, satisfait. La peinture encore fraiche luisait sous les chandelles de l'atelier. Il sourit au personnage androgyne qui se tenait encore la tête en hululant silencieusement.
"Désolé, mais tu ira pas plus loin. Ce bateau restera ta prison pour l'éternité"
Et il souffla les chandelles.

s_f_cri

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